De l’écrit à l’écran
Le Festival du cinéma de Brive a lancé une résidence d’adaptation Livre au ciné en partenariat avec la Foire du livre de Brive. En amont de l’ouverture du festival consacré aux moyens métrages, nous vous présentons chaque semaine un des cinq cinéastes sélectionnés et leur projet d’adaptation. Rencontre avec Setareh Pirkhedri qui travaille sur l’adaptation de la pièce Les Trois sœurs d’Anton Tchekhov.
– Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
– Je suis scénariste depuis une quinzaine d’années. Ma mère était professeur de littérature. Grâce à elle et à la bibliothèque de la maison, j’ai commencé à lire très jeune. J’ai fait des études de cinéma, option scénario à l’Université d’art de Téhéran. J’ai fait ensuite mon master en littérature dramatique dans la faculté des Arts dramatiques de la même université. Et depuis j’écris pour le cinéma et pour la télé.
– Quel est votre rapport au cinéma ?
– Mon rapport au cinéma est très lié à mes sensations. Quand je regarde un beau film, j’ai l’impression qu’il n’y a pas d’endroit où je suis plus moi-même. Et un beau film pour moi ce n’est pas forcément un cinéma spectaculaire. J’aime plutôt un cinéma qui a une façon très simple de raconter les histoires que l’homme traverse tandis qu’au fond on sent beaucoup d’autres choses ; la colère envers les situations imposées, la douceur dans les relations humaines et la vigilance face au monde.
– Pourquoi cette résidence a-t-elle retenu votre attention?
– Un ami réalisateur m’a parlé du Festival de Brive. Il a beaucoup apprécié ce festival notamment pour son focus sur le format moyen métrage. Ça m’a donné envie d’en savoir plus sur ce festival et d’y participer d’une manière ou d’une autre. Quand j’ai vu la résidence Livre au ciné sur la page du festival, j’ai décidé de déposer un dossier. J’ai travaillé pendant plusieurs années en tant que membre de comité de lecture de projets d’adaptations dans un centre cinématographique à Téhéran. J’ai donc déjà eu plusieurs pistes d’adaptations à l’esprit.
– Sur quel projet d’adaptation travaillez-vous ?
– Les Trois sœurs d’Anton Tchekhov. Pour cette adaptation, j’ai eu une démarche disons particulière. J’ai d’abord écrit un synopsis basé sur une histoire vraie que j’ai vécue avec mes sœurs et mon frère en Iran à la fin des années 90. Lorsque j’ai écrit la première version de mon synopsis, alors que le titre de mon projet était Les Trois sœurs, je n’avais pas du tout pensé à l’œuvre Les Trois sœurs de Tchekhov. Comme une expérience personnelle qui m’était chère, je voulais être fidèle à tout ce qu’on a vu, tout ce qu’on a vécu, à tous les détails. J’étais tellement plongée dans le fait réel, tellement repliée sur moi-même que j’avais l’impression de créer un mur impénétrable face à mon projet où tout s’était figé, où rien n’était modifiable et en conséquence rien n’avançait. L’idée de faire une adaptation de la pièce Les Trois sœurs de Tchekhov m’est alors apparue comme une sortie de secours. En relisant l’œuvre de Tchekhov, je me suis aperçue étrangement qu’il y avait beaucoup de similitudes entre nos histoires : trois sœurs et un frère, l’absence du père, et le plus important à mes yeux, la notion du rêve. Détachée de mon monde et attachée au monde de Tchekhov, les discours et les éléments de l’œuvre de Tchekhov se sont vite imbriqués dans mon projet. La pièce de Tchekhov m’a offert ainsi une distance nécessaire entre mon projet et moi-même et m’a donné à affronter des sentiments universels tels que la solitude, la jouissance, l’amour.
– Tous les romans se prêtent-ils à une adaptation selon vous ?
– Je ne pense pas, non. Il y a certains romans qui sont plus ouverts mais il y en a d’autres qui refusent l’adaptation. L’essentiel c’est qu’une forme de dialogue soit créée entre le livre, son auteur et celui qui adapte.
– Quels sont pour vous les secrets d’une adaptation réussie ?
– Le principe initial à mes yeux est « d’habiter dans le monde de l’histoire », et ensuite d’arriver à garder une distance avec la source d’adaptation même si le résultat final est entièrement fidèle à l’œuvre d’origine. Cette distance est en fait un va et vient permanent entre le monde de l’histoire et le monde de celui qui adapte pour que ce dernier puisse livrer également sa voix personnelle. L’idéal c’est que ces deux voix se resserrent, se complètent, s’enrichissent.
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De l’écrit à l’écran avec Arnaud Khayadjanian
– Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
– Je suis drômois de naissance, arménien d’origine et parisien d’adoption. Autodidacte, j’écris et je réalise des documentaires et des courts-métrages depuis 2012. Actuellement, je suis dans la phase – si particulière et délicate, du passage au long-métrage. Je développe plusieurs projets, en France et en Arménie.
– Quel est votre rapport au cinéma ?
– J’ai un goût prononcé pour les cinéastes anticonformistes et pour les esthètes. Je pense notamment à Hong Sang Soo, Miguel Gomes ou Hlynur Palmason. Je crois de plus en plus au minimalisme, au refus du spectaculaire. Ainsi qu’aux films qui accueillent le hasard et les accidents de tournage à bras ouverts.
– Pourquoi cette résidence a-t-elle retenu votre attention?
– C’est une chance unique d’écrire dans un lieu à la fois calme et inspirant. Avec l’expertise de scénaristes expérimentées qui nous accompagnent durant toute la résidence. Aussi, c’est très agréable et stimulant de rencontrer d’autres cinéastes confrontés aux mêmes challenges que soi.
– Sur quel projet d’adaptation travaillez-vous ?
– J’adapte le roman sensible et vertigineux de Philippe Beyvin Les photos d’un père. Dans ce long-métrage, je m’intéresse au parcours d’un looser magnifique, dans les années 90, qui découvre que son père biologique n’est pas celui qu’il croyait être. Mais qu’il s’agit, en réalité, d’un reporter de guerre arménien disparu au Vietnam…
– Tous les romans se prêtent-ils à une adaptation selon vous ?
– Pour moi, un roman se prête à l’adaptation si je peux m’identifier à l’un des protagonistes. C’est LA condition : que je puisse me reconnaitre dans ses combats, ses émotions, ses dilemmes… Cela ne veut pas forcément dire que le personnage doit me ressembler. Par exemple, je rêve de faire un biopic sur Berthe Morisot !
– Quels sont pour vous les secrets d’une adaptation réussie ?
– J’ai le sentiment qu’il est important de se détacher de l’œuvre originale pour mieux se l’approprier. Quand je commence à travailler sur une adaptation, je demande à ma co-autrice de ne pas lire le roman. Je préfère qu’elle apporte un regard neuf au projet, sans être parasitée ni influencée par le roman.
(Crédit photo : Félix Hureau Parreira)
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De l’écrit à l’écran avec Nathalie Giraud
Originaire de Picardie, Nathalie Giraud a suivi des études de droit puis s’est formée à la réalisation (ESRA) et au scénario (FEMIS). Elle a réalisé cinq court-métrages sélectionnés dans de nombreux festivals à travers le monde. Sa dernière réalisation, le court-métrage documentaire Le silencieux rivage a remporté de nombreux prix et a été qualifié pour les Oscars 2023. Le magazine The New Yorker assure la campagne et diffuse le film dans le monde entier depuis le 26 octobre 2022. D’autre part, elle vient d’achever le tournage de son dernier court À la guerre comme à la guerre et développe son premier long métrage de fiction.
– Pourquoi cette résidence a-t-elle retenu votre attention ?
– La résidence a retenu mon attention car elle était orientée exclusivement sur l’adaptation et que je connaissais déjà le festival de Brive qui est l’un des plus pointus dans son domaine. Je n’ai donc pas hésité une seconde.
– Sur quel projet d’adaptation travaillez-vous ?
– Actuellement, je développe un second long métrage sur l’adaptation des mémoires d’une américaine, Blanche Barrow.
– Tous les romans se prêtent-ils à l’adaptation ?
– On parle quelquefois de romans inadaptables, je n’y crois pas dans la mesure où l’exercice de l’adaptation est multiforme. Cela peut passer par une adaptation très stricte et littérale comme choisir de ne garder qu’un lieu, l’essence de l’histoire, un personnage… Et c’est cela qui rend l’exercice incroyable.
– Quels sont pour vous les secrets d’une adaptation réussie ?
– Une adaptation réussie passe avant tout par une envie de film consciente, tout comme l’idée qu’adapter même radicalement une œuvre ce n’est en aucun cas trahir l’œuvre ou son auteur mais donner naissance à une nouvelle œuvre à part entière.
(Crédit photo Olivier Loser)
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La deuxième édition de la résidence Livre au Ciné a débuté en novembre 2022 dans le cadre de la 40e Foire du Livre de Brive. Elle est organisée par le Festival du cinéma de Brive, en partenariat avec la Foire du Livre de Brive, avec le soutien de la Ville de Brive, de la Région Nouvelle-Aquitaine et du CNC (DRAC Nouvelle-Aquitaine).
Cinq projets ont été sélectionnés. Les cinéastes étaient en résidence du 4 au 10 novembre 2022 (session animée par Marlène Poste, scénariste) puis reviennent pour une seconde session pendant le Festival du Cinéma de Brive en avril (3-8 avril 2023 – session animée par Emma Cascalès, scénariste).
Les résidents 2022-2023 :
– Étienne COCUELLE – Fin 70 (d’après « Fin 70 » de Rémi Cocuelle)
– Nathalie GIRAUD – B. Barrow, ma vie avec Bonnie & Clyde (d’après « Ma vie avec Bonnie & Clyde » de Blanche Caldwell Barrow)
– Arnaud KHAYADJANIAN – Les Photos d’un père (d’après « Les Photos d’un père » de Philippe Beyvin)
– Setareh PIRKHEDRI – Troissoeur (d’après « Les Trois sœurs » d’Anton Tchékhov)
– Matthias SIMONET – Perceva (d’après « Le Conte du Graal » de Chrétien de Troyes)
Consacrée à l’adaptation, la résidence accompagne 5 cinéastes ou scénaristes sur l’écriture d’un scénario adapté d’une œuvre littéraire. Autour de la Résidence, les organisateurs souhaitent renforcer les passerelles entre l’écrit et l’écran et s’engagent ensemble dans un projet culturel ambitieux qui s’inscrit naturellement sur ce territoire riche de ses talents et de son histoire et fort de sa volonté d’accompagner l’émergence.