Théo Ananissoh

Tout a un prix paraît-il. Tout s’achète. Même l’amour. Surtout l’amour. Mais toutes les transactions ne se valent pas. Au commencement de Perdre le corps de Théo Ananissoh, il y a ce pacte passé entre deux hommes que tout oppose. Jean Adodo rentre chez lui à Lomé après 30 ans passés en Suisse. Il a 56 ans, le pouvoir et l’argent. Ce qui n’est pas le cas de Maxwell Sitti, l’agent immobilier de 28 ans qui, lui, peine à s’en sortir… Jusqu’à ce que tombe du ciel la proposition providentielle de Jean Adodo.

Cet inconnu lui offre une somme d’argent indécente pour aimer Minna. Et pas même d’obligation de résultat ! Quel mal à ça ? Il a tout à y gagner. Max se méfie pourtant, il craint que le mal ne se cache dans les détails et il n’a peut-être pas tout à fait tort. Quand il rencontre la jeune et belle Minna cependant, ses dernières réserves disparaissent… Affaire conclue donc ! Mais que pourrait bien avoir à y gagner Jean, qui se présente comme l’ancien amant de Minna… Tout cela semble bien mystérieux mais patiemment, le romancier dénoue les fils qu’il a entremêlés, laissant s’épanouir avec bonheur l’amour de Max pour Minna tandis que sa méfiance pour Jean se colore de sentiments nouveaux.

Comment le jeu de l’amour et du pouvoir va-t-il se nouer ? Qui tire les ficelles et qui dicte les règles ? Car ici point de hasard. Dans cette ville de vices et de magouilles, celui qui a l’argent rafle la mise à tous les coups. Et si, cette fois, les dés n’étaient pas pipés, si tout restait à écrire…

« Ce qui n’est pas écrit n’existe pas », assure Théo Ananissoh. L’auteur le déplorait déjà dans son précédent roman Delikatessen : « Lomé n’a pas produit un seul écrivain, si mineur soit-il ». Il réitère cette sentence dans Perdre le corps alors que Jean et Max voyagent à travers un Togo inhabité de l’intérieur, comme absent à lui-même : « Voilà ce que ça devient un lieu qui ne produit pas d’écrivains. » Un non-lieu. Un oubli.  « Un pays, ça se crée » poursuit un peu plus loin Jean Adodo.

« Ecrire, c’est créer un monde », confirme l’auteur cette fois. « Jean et Max vont visiter la totalité géographique du Togo ; ce qui est l’occasion pour Maxwell de décrire longuement les paysages du pays. Je suis désolé d’avoir à la dire ainsi mais il n’y a jamais eu auparavant de roman togolais qui ait écrit ainsi la totalité de ce pays. » Derrière cette histoire d’amour et d’amitié, derrière ces cœurs qui se lient et ces langues qui se délient avec délicatesse se loge ainsi en creux un véritable éloge de la littérature. Ecrire le Togo pour fixer son passé, faire exister son présent et permettre un futur.

Perdre le corps, Théo Ananissoh, Gallimard, Continents noirs, janvier 2021, 280 pages, 20 euros.